Interview parue dans la Revue de la Prestidigitation de 1997 et réalisée par Monsieur Guy Lamelot.


YOGANO, LE GENIE MECAMAGIQUE

Si Robert-Houdin a révolutionné la magie mourante du 19e siècle, ce sont des cht'is, comme le grand Jean Ducatillon et l'ingénieux Yogano qui ont marqué d'une empreinte décisive la création magique de ce siècle.

Deux créateurs mais deux écoles différentes pour ne pas dire opposées.Quand Jean Ducatillon dit :"Rien n'est impossible à réaliser pourvu qu'on ait une bonne idée" Yogano réplique : "C'est la matière qui me donne des idées". Deux approches qui ont produit des créations remarquables. Nous reparlerons prochainement de Jean Ducatillon, mais il y a bien longtemps, que je voulais rencontrer YOGANO. Si cet inventeur de génie hante nos congrès, depuis plus de trois décennies, il ne se révéla au grand public des magiciens qu'en 1982. C'est au congrès de Nancy, en effet, qu'il remporta le grand prix Magicus avec sa lévitation verticale sur tabouret. Le YOGANISME était né sous l'ovation d'une salle exaltée !

Les créations allaient ensuite s'enchaîner, faisant l'événement de nos congrès nationaux ou internationaux. Vous connaissez sans doute la dizaine d'illusions qu'il a inventée et commercialisée, mais sachez qu'il en reste une cinquantaine dans les archives remarquablement classées ou dans les recoins de ses ateliers. La plupart ont donné naissance à un prototype qui, un jour peut-être, se matérialisera en une nouvelle illusion. Mais que voulez-vous les jours n'ont que 24 heures... même à Wormhout.

J'ai commmencé à 17 ans par des tours de cartes comme tous les débutants. J'étais à l'époque au collège des Flandres à Hazebroucke et passionné de mécanique. Je faisais l'admiration de mes professeurs de technologie et d'atelier, car j'étais toujours le premier. J'attendais d'avoir mes brevets pour quitter le collège et travailler avec mes parents qui avaient un garage à Wormhout, dans le Nord. Dans le même temps, je continuais à travailler la magie à l'aide de livres et en allant dans les clubs.

Quand s'est produit le déclic ?

C'était en 1949, j'avais alors dix-neuf ans. J'ai fait la connaissance de Monsieur Vermeersh qui était en parenté avec le Dr Dhotel dont l'épouse était native de Wormhout. Il m'a motivé et me parlait de magie. J'ai découvert Mayette. C'est à cette époque que je fis mon premier spectacle à l'occasion d'une Saint-Nicolas, le 6 décembre 1951. Une heure et demie de spectacle avec des cousins qui faisaient le clown et le fakir.

Tu as ensuite découvert le monde du cirque ?

C'est exact. En 1952, alors que je faisais mon service militaire, j'ai découvert Francis Schoeller comme clown et le fakir. On faisait des tournées en Allemagne, tous les week-ends. Notre numéro avait alors une certaine réputation. Libéré, en 1953, j'ai rejoint le garage de mon père et on faisait des spectacles avec ma femme. En 1957, Scholler m'a relançé pour une tournée d'un mois dans les châteaux de la Loire, puis sur la Côte Normande, avec son chapiteau. Il y avait un jeune gars qui présentait le spectacle... François de Closets. Il se faisait la voix mais qu'est ce qu'il chantait faux ! J'ai continué en amateur puisqu'après avoir quitté le garage de mon père en 1954, je devins représentant en matériel frigorifique sur Dunkerque.

Fréquentais-tu l'Amicale de l'AFAP ?

Je suis rentré au Nord Magic Club, en mars 1955. J'ai passé avec succès mon examen d'entrée,sous la présidence de Jean Ducatillon.

Quand as-tu commencé à créer tes grandes illusions ?

En 1964, j'ai eu le premier prix de perfectionnement avec une boîte à disparition de Colombes et c'est à cette occasion que le prix de perfectionnement a été crée. En 1975, j'ai monté le Yogan's, un numéro de lévitation, style far-west qui s'est passé chez Dominique Webb, Sébastien et j'ai présenté pour Magic Hands et de nombreuses télévisions. En 1978, j'ai participé à une autre tournée en Hollande avec Shimada, Al Carthy, Frédérci Adams, Jean Merlin, Joo Patrick... En 1982, j'ai fait une tournée de 3 semaines au Liban, avec Brhama, Karadji, Hjalmar, Michel Magnien, Otto Wesseley et quelques autres... Pendant ce temps, je me consacrais beaucoup à la construction, et c'est en 1982, que j'obtins le prix Magicus à Nancy avec la lévitation verticale sur tabouret.

C'est alors qu'on t'a retrouvé dans tous les congrès internationaux ?

En effet, on allait faire des démonstrations. J'ai assisté à mon premier congrès mondial de la FISM à Madrid, au congrès de Magic Hands en 1987, aux USA chez Tannen. C'est là que j'ai présenté à David Copperfield la version du tabouret descendant que seul Patrick Droude présente aujourd'hui.

On te retrouve ensuite à Angers avec une nouvelle Lévitation

C'était en 1978, où j'ai obtenu de deuxième prix à Angers pour ma lévitation sur la chaise. Je récidive en 1988, à la FISM de la Haye avec YOGANO junio, en présentant une lévitation sur un podium en plexi glass, qui reçut le deuxième prix d'invention. C'est aussi avec cette illusion que mon fils YOGANO junior eut la baguette d'or de Monaco en 1990.

C'est une illusion qui a eu un grand succès international ?

Je l'ai mise en démonstration en 1991, à Lausanne. J'en ai fabriqué pour Siegfried and Roy et Copperfield. YOGANO Junior qui la présentait avec sa soeur a fait le tour du monde avec cette illusion.

Le génie créateur de YOGANO ne s'est pas arrêté là, puisqu'en 1990 tu perfectionnes l'empalment ?

Je n'en suis pas l'inventeur, mais il existait sur des matériels très lourds. J'ai perfectionné la technique et décliné plusieurs applications de l'empalment carabine cierge, balais javelot.. Cette invention, je l'ai présentée à Annecy en 1990.

Il y a eu ensuite Super Inclinaison dont on parla moins et Spinning qui vient d'être utilisé dans le film de C. Fechner " Un amour de sorcière" ?

Super inclinaison, c'étair une forme de lévitation mais elle doit s'intégrer dans un numéro. Quant au Spinning (le personnage tournant sur lui même en plan vertical), je l'ai présenté en démonstration au congrès de Clermont.

Devant tant de créations, et de fabrications à réaliser, j'ose à peine te demander si tu nous prépares autre chose ?

Actuellement, je prépare un premier effet pour le congrès de la Baule, une nouveauté et j'ai un énorme projet pour le congrès de la FISM de l'an 2000. Mais je ne souhaite pas en dire plus pour le moment.

Toute cette vie à passer à créer de grandes illusions, ne méritait-elle pas qu'on fasse un livre, d'autant plus qu'il doit y avoir bien des projets qui n'ont jamais vu le jour ?

Nous avons en effet évoqué ce projet avec Christian Fechner : réaliser un livre sur toutes mes inventions avec les plans explicatifs. J'y travaille actuellement.

On peut voir ton fils tous les soirs, au cabaret "Les Folies de Paris", à Lille réaliser les illusions de Papa ?

J'ai en effet réalisé pour mon fils aux Folies de Paris, un piano volant qui fait le magnifique final. Ils ont d'ailleurs en projet de préparer un spectacle pour le futuroscope.

Jean Ducatillon me disait récemment que lorsqu'on veut créer, il faut se fixer un objectif, sans se préoccuper au départ de la manière dont on résoudra les problèmes techniques ; ton approche est différente ?

Moi, je suis pragmatique et mécanicien de métier, et mon approche est en effet différente.C'est la manière et l'expérimentation qui me guident. Je découvre en fabricant des techniques pour d'autre applications. Moi je ne regarde jamais dans les livres. Je n'ai pas d'objectif au départ. C'est à partir de tests techniques, que j'essaye de déduire des applications. Prenons un exemple : c'est en manipulant expérimentalement des compas à gaz que je me suis dit : pourquoi ne pas les expérimenter dans les lévitations ? J'ai immédiatement testé le matériel sur mon fils avec un compas qui supportait une pression de 80 kilos, ça a marché et j'en ai immédiatement déduit un certain nombre d'applications pour l'empalment. J'ai une intelligence pratique et expérimentale. J'ai inventé un truc à partir d'une chute de métal qui m'a permis de fabriquer "Andromeda" : une boîte à apparition de colombes. Je ne me suis pas dit : "Comment vais-je fabriquer la boîte à apparition de colombes ? mais : "Que pourrais-je bien faire avec cette chute de métal ? "Je travaille beaucoup la nuit. J'imagine et à 4 heures de matin, je fabrique, corrige, applique. C'est ensuite à partir du prototype que je fais mes plans pour usiner, et dupliquer. Mes idées viennent rapidement. En fait, c'est mon esprit de mécanicien qui m'a permis de faire toutes ces inventions, ensuite ma formation de dessinateur fait le reste pour fabriquer.